Par François Perrot, paroissien
Il y a des moments où nous sentons bien que nous sommes à des carrefours de vie où le changement est inéluctable. Et nous sentons bien, aujourd’hui, que notre Église est arrivée à un tel carrefour. Comme deux cyclones qui se rencontrent et se renforcent, la crise née des abus sexuels commis par des prêtres sur des enfants ou des religieuses rencontre celle, révélée dans un livre récent, montrant l’hypocrisie de certains prélats enseignant une morale sexuelle pleine de condamnations et se réservant pour eux toute liberté. Sur l’échelle des cyclones, nous serions au grade maximum, celui où on est sûr que rien ne sera plus comme avant.
Le caractère cataclysmique tient à ce que ces crises, centrées sur les responsables de l’Église-institution, touchent à l’authenticité du message évangélique. Lorsqu’un prêtre ose dire sur un plateau de télévision qu’un enfant peut rechercher le contact sexuel d’un adulte, lorsqu’un autre place la souffrance des victimes au même niveau que celle des criminels, c’est le témoignage chrétien que nous tentons de porter qui devient mensonge ou hypocrisie aux yeux du plus grand nombre. L’Évangile, sa beauté, sa modernité, sa radicalité, sa nécessité, tout cela disparaît devant les gestes et les paroles choquants qui visent, coûte que coûte, à protéger l’Église-institution. « Qu’avez-vous fait de Jésus ? » titrait un livre récemment. Le sujet est bien là.
Un sociologue américain qui étudiait comment réagissent les membres d’organisations confrontées au déclin, résumait ces attitudes à trois possibilités. Ils peuvent quitter l’organisation : nombre de croyants, se sentant loin de remplir les critères de catholicité l’ont d’ailleurs fait, repoussés par l’Église-institution, délaissant alors l’Église-ecclesia, assemblée des croyants. Ils peuvent aussi rester loyaux et silencieux, un certain temps. Ils peuvent enfin, dans une loyauté active, prendre la parole et agir pour faire changer les choses et c’est de cela que nous avons besoin aujourd’hui. L’Église, c’est d’abord nous, peuple de baptisés, laïcs et clercs, nous qui nous retrouvons chaque semaine pour répondre à l’appel du Christ, nous qui dans nos paroisses tentons de vivre au diapason du message du Christ. Si l’Église comme organisation est en crise, l’Église-ecclesia que nous formons, elle, doit prendre la mesure des crises ouvertes, en parler, accepter de repenser comment nous « faisons Église » et comment être authentiquement chrétiens aujourd’hui. Les sujets sont nombreux : place des femmes, sacerdoce des prêtres, rôle des laïcs … Aborder cela demande d’accepter, individuellement et en Église, de tout bousculer pour revenir à Lui, pour n’être que Lui.
Dans quelques jours, après avoir conduit le Christ au tombeau, nous chanterons au matin de Pâques la séquence dans laquelle nous rappelons que « la mort et la vie se sont livrées un duel sans pareille ». La victoire du Prince de la vie, même si l’Écriture l’annonçait, n’était pas un fait évident ou acquis. Dans la période que nous vivons, nous voyons l’âpreté de ce combat. « Au-dessus du monde qui change, la croix demeure, immuable » rappelait Saint Bruno. Le Christ, au terme du combat, est victorieux : là est notre foi et la source de la confiance nécessaire pour accepter de changer en Église.