« Le carême est un voyage spirituel dont la destination est Pâques ». Ces mots sont du Père Schmemann, théologien orthodoxe de renom. Dans leur simplicité ils disent beaucoup de ce qui fait la richesse de ce temps et d’abord de sa couleur : il est déjà empreint de la lumière de Pâques tant il est vrai que la destination finale de ce « voyage spirituel » est présente à chaque pas qui y conduit.
Oh ! je sais bien que la figure du carême peut être perçue fort différemment à savoir comme un temps en demi-teinte, assez laborieux. Il se peut même qu’il soit affecté d’un léger indice de tristesse. Léger, certes, mais suffisant pour priver ce temps des couleurs de la saison qui le caractérise : le printemps. Pourquoi ne pas penser au carême comme d’une marche au printemps ? Le contraire d’une période où tout s’éteint et décline puisque tout renaît et aspire à son éclosion et à son épanouissement.
Reste une forme d’âpreté : celle de la lucidité qu’exige ce temps puisqu’il y est question de conversion et qu’il ne saurait y a voir de conversion sans la reconnaissance du péché qui plombe et assombrit la vie de chacun, la vie de l’Église et celle du monde. La conversion cela commence par la lucidité. Il fut un temps où le mot « lucide » signifiait « clair, lumineux ». La lucidité ce pourrait donc être cela : un regard clair et lumineux, libre et franc sur les pesanteurs qui dans ce monde contrecarrent le plan de la grâce – et elles sont nombreuses en chacun(e), dans l’Église et, pour tout dire, partout… Encore cette lucidité serait-elle vaine si elle ne débouchait pas sur le ferme propos de ne pas laisser les choses en l’état mais de s’engager vraiment au service de la justice et de l’amour comme nous voyons le Christ le faire à longueur d’Évangile et jusqu’au moment crucial vers lequel nous marchons avec lui : sa Pâque.
Dans la prière d’ouverture du premier dimanche de carême nous demandions « tout au long de carême de progresser dans la connaissance du Christ ». Voilà qui nous remet devant celui qui peut nous rasséréner et nous redonner tonicité en tout temps, certes, mais surtout maintenant car c’est le présent qui nous importe, et les lendemains qu’il prépare. Chacun le sait et le porte, notre présent est fait d’une actualité ecclésiale dont on se serait volontiers passé. Raison de plus sans doute pour faire de ce carême un authentique « voyage spirituel », sous le signe d’un vrai goût pour la lumière et la vérité et d’une détermination renouvelée à suivre le Seigneur sur le chemin de vie qu’il ouvre pour tous les hommes et femmes de bonne volonté.
Gilles-Hervé Masson, dominicain, vicaire.