Au début du Carême, trois invitations nous étaient lancées : partager, jeûner et prier. Cela revenait au fond à nous proposer de prendre les moyens d’une attention qui va dans trois directions. Celle du frère ou de la sœur en humanité, d’abord, en partageant avec celui qui n’a pas assez, qui peut être n’a rien à voir, comme c’est le cas en ce moment presque sous nos yeux, avec ceux et celles qui sont en train de tout perdre. En deuxième lieu, le jeûne, quel que soit du reste sa nature, (car il n’est pas de jeûne seulement de nourriture et de boisson) est une invitation à être attentif à soi : en vérifiant ses vrais besoins et le soin que nous prenons de notre être, corps et âme, en évitant les saturations de tous ordres. En s’assurant aussi de n’être pas trop autocentrés. Prier enfin, est une invitation à cultiver l’attention source de toutes les autres, l’attention à Dieu, celui qu’en Jésus Christ nous découvrons comme un Dieu à visage humain, proche de nous, « ne désirant pas la mort du pécheur », mais sa conversion et sa vie.

Un examen, même rapide, de nos existences telles que nous les laissons aller, nous convaincra aisément du bien-fondé et de la pertinence de cette opportunité de recentrage spirituel, afin de nous relier à notre profonde humanité.

Mais les circonstances sont là, qui colorent notre démarche de Carême… Notre attention et notre compassion sont sollicitées de toutes parts, jusqu’au vertige. Sur fond de fatigue après des mois de crise sociale et sanitaire, sur fond de tristesse si nous songeons à la crise dite “des abus” que traverse encore notre Église, sur fond d’angoisse parce que la fragilité des équilibres géopolitiques apparaît dans toute sa réalité à l’occasion de l’agression sanguinaire de l’Ukraine  si proche de nous à bien des égards par les forces de la Fédération de Russie. Au milieu de tous ces drames, on ne sait littéralement plus où donner de la prière, ni non plus comment se rendre vraiment utile.

Aujourd’hui les évêques de France nous demandent d’avoir tout particulièrement présent à l’esprit les victimes des abus. Tout au long de notre eucharistie nous penserons à tous et à toutes. Ces victimes sont frères et sœurs de celles d’autres drames, et j’imagine que nous aurons à cœur de donner notre attention  puisque c’est à être attentifs que nous sommes appelés à tous et toutes, et non à quelques-uns au détriment des autres.

Il est crucifiant de penser au rôle joué par les institutions ecclésiales dans ces deux drames en particulier : c’est dans l’Église du Christ et par des gens d’Église que de nombreuses personnes ont été abusées et n’ont été ni protégées, ni écoutées. Quant au bain de sang en cours en Ukraine, il n’est possible que par la caution que lui apportent les plus hautes autorités ecclésiastiques de Russie, ce qui nous vaut d’être, journellement, les témoins de véritables crimes contre l’humanité.

Si vous le souhaitez, vous pourrez faire vôtre la prière prononcée par le pape François à l’audience du 16 mars (vous la trouverez sur notre site). Douloureuse mais magnifique déploration qui vaut pour tous les drames dont l’humain sait être l’auteur :

« Ô Seigneur, arrête la violence ! Arrête-nous Seigneur ! » … et fais de nous des êtres de bienveillance et d’attention !

 

Père Gilles-Hervé Masson, Vicaire, Prêtre dominicain.