Avec l’épisode de Zachée, Luc nous met encore en présence d’un moment où ce que nous appelons la miséricorde entre dans la vie de quelqu’un. En l’espèce, pas n’importe qui mais un personnage qui est au cœur du dispositif social puisqu’il est le chef des collecteurs d’impôts. On peut traduire immédiatement que cela signifie qu’il appartient à une catégorie de gens très mal vus – d’autant plus que soupçonnés aussi de collaboration avec l’ennemi, avec l’occupant. Pour le dire autrement, Zachée, est un paria, comme un pécheur peut l’être. Il est quelqu’un d’impur, livré à des occupations inacceptables. En toute rigueur de termes il est tout à fait « infréquentable ». Tel qu’il est décrit : petit par la taille mais grand malfaisant. Et pourtant il s’intéresse à Jésus, dont il a appris qu’il passait par là et, à tout le moins, veut-il le voir, rien que le voir. Il a une sorte de curiosité. Et alors qu’il veut « voir » Jésus c’est Jésus, finalement, qui va « lever les yeux » sur lui. Et là tout change.
On peut se souvenir des échanges de regards que nous rapportent les évangélistes. Celui où on nous parle de cette rencontre avec un jeune homme avec cette précision : « Jésus posa les yeux sur lui et l’aima. » De la même manière on imagine les échanges de regards entre Pierre et Jésus sur les bords du lac, lors des retrouvailles après la douloureuse trahison (C’est Jean qui le rapporte). La première chose que nous pouvons noter, c’est ce regard que Jésus pose sur ce pécheur là, Zachée. C’est-à-dire que, alors que personne ne l’en-visage, ce pécheur infréquentable, Jésus, lui le fait. Il envisage Zachée et il s’invite chez lui pour aller demeurer dans sa maison. Et Zachée l’accueille. La foule qui voit la scène, nous dit-on, récrimine. Déjà un peu plus haut dans l’évangile on nous avait indiqué que les disciples ne comprenaient pas les chemins du Seigneur, ne comprenaient pas ce qu’il racontait à propos de sa Passion. Ici encore, incompréhension : la foule ne comprend pas les comportements de Jésus qui est allé loger chez un homme pécheur. On s’étonne souvent qu’il fréquente, comme ça, des pécheurs et des impurs, des réprouvés. Et pourtant Jésus le fait. Notons cette réticence de la foule – et parfois même des disciples – à voir à l’œuvre le pardon de Dieu qui rejoint absolument tout le monde.
Quant à la rencontre, on nous en dit très très peu de choses. On nous dit simplement au fond, qu’elle a lieu et que c’est dans l’écrin de cette rencontre que se joue la conversion de Zachée. Jésus n’a posé aucune condition préalable pour aller au-devant ce pécheur infréquentable. Il est allé vers lui, il l’a envisagé, et c’est dans ce mouvement, dans cette initiative de Jésus, dans cette initiative de Dieu en Jésus à l’égard du pécheur, que se joue la conversion du pécheur, qui va du coup donner la moitié de ses biens aux pauvres, et puis rembourser au quadruple s’il a fait du tort à quelqu’un. Et à la fin Jésus de dire simplement au sujet de Zachée : « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison car lui aussi est un fils d’Abraham. »
Il n’y pas tellement longtemps, en méditant sur un autre passage d’Évangile (Mt 25) on notait que parmi les exigences du Royaume telles qu’elles se déclinent à travers tout l’Évangile, il y a l’exigence d’amour et de pardon pour les pécheurs. J’avais précisé alors : « même les pires »… Au fond Zachée, il appartient à cette catégorie des « pires »… chargé, à tout le moins ! Et malgré ça, Jésus atteste que le pardon est fait pour lui aussi. On peut penser à d’autres situations : l’eût-il demandé, le pardon aurait été accordé à Judas, malheureusement, il est resté avec son remords, sans repentance, sans retour vers le Christ. Pierre qui avait trahi, lui, aura goûté le pardon, car lui aussi avait besoin de pardon. Ici c’est Zachée. Il reçoit le pardon, et il y a là une invitation qui est adressée au lecteur et qui correspond à une exigence pas si facile que cela à honorer : accepter l’idée que dans le dessein de Dieu il peut toujours y avoir une « conversion » pour le pécheur, il peut toujours y a avoir une ré-orientation du cœur, et une réforme de l’être et de l’agir humain. Dans la dernière encyclique qu’il a écrite, Fratelli tutti, le pape le rappelle et demande à ce qu’on qu’on n’enferme jamais le pécheur dans son péché, mais que l’on croie que le changement, la conversion, l’amendement de vie est possible.
Et notre évangile se termine par cette belle phrase : « En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Et nous qui sommes disciples du Seigneur, nous avons hérité dans la mission qui nous est laissée, nous avons hérité de ce souci du salut du prochain, non seulement pour le convertir à la bonne doctrine ou aux bonnes mœurs, mais premièrement pour lui attester que le pardon de Dieu, l’amour de Dieu est plus grand que toute offense et peut ressaisir toute vie, si cabossée qu’elle soit, si éloignée qu’elle soit des chemins que le Seigneur nous propose dans sa Loi.
En relisant cette page de l’évangile selon saint Luc, peut-être que c’est cela que nous pouvons interroger en nous : notre disponibilité au pardon. Il se peut que parfois, estimant que « trop c’est trop », nous estimions juste de fermer la porte de l’à-venir, et qu’au fond, le pécheur soit réduit à sa situation présente de péché sans beaucoup de perspectives de pouvoir en sortir. C’est l’incompréhension de la foule et celle des disciples. Ce peut être la nôtre parfois devant les voies du Seigneur, cette capacité qu’il a d’aller vers tout le monde pour offrir à tout le monde sans distinction, sans faire acception de personne, le salut apporté par Dieu.
En terminant ces quelques mots, je reviens sur le verset qui clôt notre page d’évangile : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » : tous et toutes, autant que nous sommes, nous faisons partie de ceux et celles, perdu(e)s que le Seigneur est venu chercher et sauver. Croyons pour nous-mêmes à ce salut de Dieu, et surtout témoignons-en, attestons qu’il est toujours offert, disponible, pour quiconque pourrait en avoir besoin, car l’amour de Dieu veut rejoindre tout être sans préalable, sans exception.
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